Violaine Boutet de Monvel

From video feedback to GenAI: on recursivity in the arts and media

Terencio González

Texte d’exposition publié par Jérôme Pauchant (Paris), juin-juillet 2020.

Hasard voulant conçue en pleine pandémie de coronavirus qui nous a plongés, corps et âmes, dans le brouillard incertain d’un confinement global, Patio de luz – la seconde exposition personnelle de Terencio González à la galerie Jérôme Pauchant – pourrait tout aussi bien être à la peinture abstraite ce qu’un « puits de lumière » est au logis : l’illusion éblouissante d’une vue par-delà le cadre étroit d’une fenêtre, ou d’une toile de lin brut dans le cas qui nous concerne. La nouvelle série d’œuvres de l’artiste franco-argentin poursuit l’exploration picturale dans laquelle il s’est embarqué depuis le début des années 2010, usant de l’éclat de fonds d’affiches rothko-esques pour seule palette en écho à ses flâneries urbaines.

En effet, González est à l’origine tombé sur ce qui deviendrait à la fois la matière première et le leitmotiv lumineux caractéristique de son oeuvre en se promenant dans les rues de Buenos Aires. Affichés sauvagement partout dans la capitale argentine, ces posters à l’allure vintage et visiblement bas de gamme présentent en général des dégradés de deux ou trois couleurs, sur lesquels sont imprimées toutes sortes de publicités et propagande politique, quand ils n’annoncent pas la tenue de spectacles ou soirées de cumbia. Apprenant que ces affiches étaient fabriquées à la demande dans des imprimeries locales, il s’est mis à leur recherche durant chacun de ses séjours argentins pour en ramener des stocks vierges dans son atelier parisien, où ils n’ont cessé de nourrir sa pratique.

Qualifiée de « fontaine de couleur » ou « rouleau arc-en-ciel », la technique d’encrage derrière ces arrière-plans radieux est sans doute aussi vieille que l’impression typographique, mais sa popularité a sensiblement bondi à la fin des années 1960, durant l’ère hippie, lorsque graphistes et artistes pop ont commencé à se la réapproprier pour créer des affiches de concert et des posters tape-à-l’oeil, parmi d’autres collectors semble-t-il sans plus haute prétention. Pour le dire franchement, ces jolis dégradés – qu’il est facile d’obtenir en versant séparément deux couleurs ou plus dans l’encrier d’une presse, avant de la laisser tourner – étaient une manière rapide et peu onéreuse de donner une touche psychédélique à leurs messages, dès lors plus d’impact visuel.

Incidemment, alors que González se découvrait à peine son intérêt pour les posters arc-en-ciel, un échange au Art Center College of Design à Pasedena en Californie, en 2013, lui a offert l’occasion de se familiariser plus amplement avec leurs ressorts esthétiques. L’un de ses professeurs – le critique d’art Jan Tumlir – avait participé plus tôt dans l’année au commissariat de In the Good Name of the Company : une exposition célébrant l’héritage artistique de Colby Poster Printing Company, une imprimerie typographique familiale basée à Los Angeles qui venait juste de fermer ses portes après avoir soutenu son activité pendant près de soixante-dix ans. L’utilisation typique par Colby de couleurs fluorescentes combinées à cette technique et des polices de caractères grasses avait inspiré tant de musiciens et artistes dans la région que le Hammer Museum a fini par embaucher la compagnie pour réaliser le design de l’affiche de sa première biennale Made in L.A., en 2012. Cela faisant, ce style original de rouleau arc-en-ciel s’en est trouvé à jamais iconique, au point de se confondre avec l’identité même de la Cité des Anges.

C’est ici que l’analogie avec la trajectoire personnelle de González s’arrête, non seulement parce que cette dernière dévoile une histoire qui – comme l’imprimerie – s’étend manifestement bien au-delà de la Côte ouest américaine, sublimant potentiellement toutes les frontières, mais aussi parce que la couleur est l’unique message dans son cas.Qu’il s’agisse de l’affiche qu’Ed Ruscha a réalisée pour promouvoir la première de son film Miracle en 1975, ou de la transcription par Allen Ruppersberg de Howl – le poème beat phare d’Allen Ginsberg – en 2003, les deux imprimées sur des posters Colby, l’atelier typographique californien a essentiellement mis au monde des œuvres littéraires ou pour le moins conceptuelles. À l’inverse, les dégradés ready-made et prêts à l’emploi que González collecte à Buenos Aires sont un tremplin vers de plus amples aventures picturales. Ce sont des palettes trouvées, pour ainsi dire, qu’il s’évertue de transmuer en véritables peintures.

La pratique de l’artiste franco-argentin s’organise autour de trois étapes distinctes, bien qu’étroitement liées, à commencer par un travail au pinceau épais, inégal et hâtif avec différentes nuances de peinture acrylique murale blanche, ainsi qu’un mélange de blanc de Meudon sur toiles de lin brut. Il poursuit en collant délicatement un ou deux fonds d’affiches arc-en-ciel, parfois préalablement découpés, sur ces surfaces fortement texturées de telle sorte que ces dernières se dessinent à travers – et fusionnent avec – les feuilles colorées, que la finesse du papier rend presque translucides. Enfin, il achève ses compositions avec de légères touches de peinture à la bombe, créant des échos discrets, comme hâlés, de ses palettes trouvées dans les parties restées vierges de ses peintures.

Si l’oeuvre de González continue de retranscrire des émotions ressenties en ville, notamment à travers un vocabulaire résolument attaché aux diverses interventions sur ses murs, elle est désormais hantée par tout autre chose. Ses nouvelles peintures ont été réalisées pour la première fois à partir de fonds offset, qu’il a rassemblés pendant une résidence du CNAP en 2017. Ce procédé plus récent tend à remplacer partout la typographie, précipitant les imprimeries de Buenos Aires – comme il est arrivé à Colby – vers l’obsolescence ou la renaissance. Non que l’offset ne vibre pas de ses imperfections propres, qu’il reste à découvrir chez Pauchant, les traces fantomatiques qui caractérisaient les travaux antérieurs de l’artiste – et que laissaient sur le papier de vieilles presses nettoyées à la va-vite, quand les affiches n’étaient pas simplement pliées l’encre encore humide – appartiennent au passé. Nous entrons dans une nouvelle ère, aussi bien pour González que le reste du monde, et dans laquelle il faut espérer que flâner dans la rue ne sera bien heureusement pas qu’un souvenir distant.