L’art vidéo pionnier sous le prisme de l’agentivité : quelle(s) icône(s) pour un médium dont la spécificité était le feedback?

Chapitre d’ouvrage collectif publié par Mare et Martin (Paris), 2023, pp. 259-277.

Pour conclure, qu’il s’agisse des artistes, des spectateurs ou, avant eux, de toute autre figure anonyme ou médiatique ayant eu l’honneur de passer à la télévision, ces multiples visages sont, finalement, les icônes historiques de l’agentivité vidéo. Des photographies d’archive documentant les actions séminales de Nam June Paik et Wolf Vostell à l’encontre de téléviseurs en 1963 à celles informant, après l’avènement de la vidéo en 1965, les nombreux dispositifs de vidéosurveillance mis en place par des artistes dans le cadre de performances ou d’installations, ce que l’histoire de l’art y a certes plébiscité est déjà l’expérience anthropocentrée de corps perceptifs à l’épreuve du feedback instantané. Cette expérience serait plus avant de nature psychologique selon Rosalind Krauss, relevant pour sa part « le narcissisme très puissant qui pousse l’observateur de telles œuvres à avancer et reculer devant l’écran[1] ».

Néanmoins, dans la continuité des recherches menées par Ina Blom sur l’agentivité vidéo[2] ou encore celles du théoricien des médias américain Mark Hansen sur la sensibilité des médias au xxie siècle[3], ce qu’il faut également y reconnaître, d’un point de vue non-anthropocentré cette fois, est la possibilité équivalente que cette technologie ait éprouvé tous ces corps en retour, influençant leurs gestes dont elle ne cessait de rendre et d’adapter l’image en temps réel. Quoi qu’il en soit, commençant à échapper au rapport prosthétique strict entretenu jusque-là par les humains avec les machines, l’autonomie perceptive de la vidéo marque une première étape dans l’histoire qui mène à l’intelligence artificielle. Selon Mark Hansen, les avancées de cette dernière obligent désormais « à repenser de manière radicale l’expérience humaine que la computation assiste via la collecte de données, ce au prix d’une rétrogradation certaine, à savoir : la marginalisation de notre perception et de notre conscience[4] ».

Reste alors à interroger, dans la même logique que cet essai, quelles pourraient être les icône(s) des réseaux de neurones informatiques entre les mains d’artistes œuvrant du côté de l’intelligence artificielle, comme c’est le cas, par exemple, de Trevor Paglen, Grégory Chatonsky, ou encore Hito Steyerl[5], aux États-Unis, en France et en Allemagne respectivement. Face à la perte constatée de l’agentivité humaine, leur imagination saura-t-elle accorder à cette entité sensible, régie par des algorithmes d’apprentissage automatique, autre chose que le reflet ou l’apparence de leur propre regard anthropocentré, voire de leur propre organicité ?

Extrait, pp. 274-275.

[1] Krauss Rosalind, « Video : The Aesthetics of Narcissism », art.cité, p. 62 ; traduction par l’autrice.

[2] Blom Ina, The Autobiography of Video : The Life and Times of a Memory Technology, op.cit.

[3] Hansen Mark, Feed-Forward : On the Future of Twenty-First-Century Media, University of Chicago Press, 2014.

[4] Ibid., p. 5; traduction par l’autrice.

[5] Somaini Antonio, « On the altered states of machine vision. Trevor Paglen, Hito Steyerl, Grégory Chatonsky », in AN-ICON. Studies in Environmental Images, no. 1, 2022, pp. 91-111.