Violaine Boutet de Monvel

From video feedback to GenAI: on recursivity in the arts and media

Laure Prouvost

Chronique publiée dans Mouvement (Paris), no. 96, juillet-août 2018, p. 113.

Faudrait-il donc que les artistes s’expatrient pour recevoir le soutien du ministère de la Culture?

En amont de la FIAC, le 17 octobre dernier, alors fraîchement élue au gouvernement, Françoise Nyssen confiait ses vœux en matière de politique culturelle à Beaux Arts Magazine, qui tira de cet entretien exclusif le titre providentiel : « Nous devons soutenir la notoriété de nos artistes à l’étranger ». Si l’entendement voulait qu’il s’agisse d’exhiber le fruit de ceux œuvrant céans par-delà nos frontières, le lecteur s’amusera néanmoins du double sens possible bougrement insidieux. Or à qui dit tout et son contraire, malentendu assuré.

Sur communiqué du 18 mai 2018, le ministère de la culture a désigné l’heureuse ambassadrice de la France pour la prochaine Biennale de Venise : « Jean-Yves Le Drian et Françoise Nyssen saluent le travail de Laure Prouvost dont la carrière internationale est à l’image du dynamisme de la scène artistique française », conclut-il en grande(s) pompe(s), qui plus est à côté. Si la drôlerie vous échappe, imaginez plutôt le ministère de l’économie s’octroyer la réussite commerciale de la chaîne britannique Pret A Manger.

La destinée de Laure Prouvost, qui n’a rien à envier à ses prédécesseurs, est sans débat possible étroitement liée à la vigueur du milieu artistique outre-Manche (quand bien même son parcours y reste exceptionnel, les inégalités de genre étant légion partout). Expatriée depuis ses 18 ans en Angleterre, la lauréate du Max Mara Art Prize en 2011 puis du Turner Prize en 2013 – la consécration britannique par excellence – vit désormais entre Londres et Anvers.

Afin d’épiloguer tout en rendant hommage à l’imaginaire sans borne de cette vidéaste louftingue, qui a su captiver au gré des aventures fictives de ses faux grands-parents, une approche contrefactuelle s’impose naturellement. La question à poser est la suivante : si Laure Prouvost n’était pas partie étudier à Londres (à Central Saint Martins puis Goldsmiths, deux usines à talents soit dit en passant) et rencontré là-bas le succès qu’on lui connaît, aurait-elle jamais été considérée pour investir le pavillon français ?

À regarder de plus près le passif de ce dernier au XXIe siècle, la reconnaissance de la moitié des artistes exposés y fut manifestement le jeu d’une galerie à l’assise « internationale ». Quid par exemple de Pierre Huyghe, Annette Messager, Christian Boltanski et Anri Sala pour représenter la France à la Biennale de Venise, si Marian Goodman n’en défendait pas déjà les renommées de part et d’autre de l’Atlantique ? Huyghe et Sala ont par ailleurs fini par s’exiler, l’un à New York, l’autre à Berlin.

Le cas Laure Prouvost ne reflète en rien un quelconque dynamisme tricolore, il illustre pour la énième fois un problème bien ancré. Dans l’espoir de percer sur la scène globale de l’art contemporain, mieux vaut quitter le navire dont les propulseurs sont en panne. Complexé des Lumières (si ce n’est du Roi-Soleil), le haut lieu culturel français miroite plus qu’il ne rayonne. Se risquant peu à soutenir ce qui se crée simplement ici, il s’en remet volontiers aux jugements de ses voisins, quitte à se complaire parfois à l’ombre d’éclats qui ne lui sont pas dus.