Portfolio publié dans Esse arts + opinions (Montréal), no. 94 – Travail, automne 2018, pp. 60-63 & en ligne.
Les vidéos surréalistes de Mika Rottenberg découvrent des architectures poreuses dans lesquelles s’imbriquent d’absurdes corvées. Dans Squeeze (2010), par exemple, les protagonistes à l’ouvrage, majoritairement des femmes, produisent d’étranges conglomérats de laitue, de caoutchouc et d’emballages cosmétiques au fil d’une chaîne de montage des plus insensées. Mêlant souvent des images qui documentent des conditions de travail réelles dans le monde, son orchestration ultime d’un labeur sans queue ni tête offre une allégorie grisante de la marchandisation de l’humain. À l’ère de l’hypercapitalisme globalisé, l’artiste s’amuse à nous rappeler que la vérité dépasse largement la fiction, aussi farfelue soit-elle.
Présentée pour la première fois à la Biennale de Venise en 2015, l’œuvre NoNoseKnows opère un parallèle subtil entre industrialisation et cannibalisme par une mise en abyme comique de la culture des perles (leur production est accélérée en insérant des lambeaux de mollusques morts dans des huitres vivantes afin de provoquer la précieuse réaction allergique). Pendant que des trieuses de perles travaillent avec application dans une usine à Zhuji, en Chine, le personnage grotesque d’une amazone en col bleu s’installe dans une salle adjacente remplie de bouquets de fleurs. Sa curieuse tâche consiste à se faire éternuer en inhalant délibérément du pollen pour ensuite expulser tout un menu de plats de nouilles et nourrir, peut-être, les autres affairées.
Réalisée dans le cadre de Skulptur Projekte Münster en 2017, la vidéo Cosmic Generator souligne quant à elle l’ironie derrière la circulation à grande échelle des marchandises, alors même que les humains subissent des politiques migratoires de plus en plus restrictives. Filmés dans l’immense marché de Yiwu, en Chine également, des employés de boutique croulent d’ennui sous leur surplus de babioles étincelantes. De l’autre côté du monde, des biznessmans américains en cravate tentent de traverser illégalement la frontière entre les villes jumelles de Calexico et Mexicali, séparées par une longue clôture en métal. Après avoir péniblement emprunté un tunnel souterrain imaginé par l’artiste, ils atterrissent du côté mexicain dans un quartier chinois, où les restaurateurs les servent avec de la coriandre tels de délicieux rouleaux de printemps.