Violaine Boutet de Monvel

Art writer & translator | Lecturer & PhD candidate

Court-circuiter de concert le fil de l’information : quand le bruit fait œuvre

Communication dans le cadre du séminaire du CREAViS, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, 22 novembre 2021, 9h-12h.

It was after I got to Boston that I went into the anechoic chamber in Harvard University. Anyway, in that silent room I heard two sounds, one high, one low. Afterwards, I asked the engineer in charge why, if the room was so silent, I had heard two sounds. He said: describe them. I did. He said the high one was your nervous system in operation, the low one was your blood in circulation.

John Cage, in Nam June Paik, Global Groove, video, 28’42, WNET/13 (New York), 1973.

Cette communication propose d’opérer un pont esthétique entre des environnements et happenings à l’aube de l’art vidéo pionnier, puis des pratiques contemporaines sous la forme de concerts multimédias et d’installations vidéo immersives. La notion de bruit y est abordée sous le prisme de la théorie de l’information (Claude Shannon) et de la cybernétique (Norbert Wiener) comme toute source de corruption possible du signal ou du code. À l’instar du feedback en cybernétique, la vidéo est ici entendue comme agentivité, s’opposant à toute forme de hiérarchie entre les différents agents sensibles pris dans les dispositifs dynamiques des œuvres proposées à l’analyse. Il ne fait dès lors pas sens de distinguer bruit sonore et visuel dans ce cadre, puisque la vidéo les lie, somme toute, organiquement. A fortiori, il s’agira de questionner le rôle du bruit en art, par opposition à l’ingénierie, arguant que sa magnification est à l’essence même du geste esthétique, tandis que la logique des sciences de la communication commande d’en minimiser les effets afin de transmettre un message avec le moins de perte possible.

L’intervention reviendra dans un premier temps sur la genèse de l’art vidéo pionnier en 1963 dans l’héritage immédiat des préceptes du sérialisme en musique et des expérimentations sonores menées à l’époque dans les stations de radio, laissant toutes place au cœur de leurs partitions mêmes aux opérations du hasard et à l’environnement immédiat (Karlheinz Stockhausen, John Cage). Les actions séminales de Nam June Paik et Wolf Vostell ont à cet égard pleinement intégré les spectateurs dans leurs court-circuitages respectifs du signal télévisé en cours de retransmission, les embarquant dans le jeu de boucles de rétroaction minimalistes et bruitistes : des happenings de primeur précédant de trois ans la publication de l’ouvrage Assemblage, Environments and Happenings d’Allan Kaprow, qui témoigne plus avant en des termes non techniques de l’influence monumentale que la cybernétique avait alors sur la création.

L’intervention confrontera ensuite ces pratiques historiques avec des pratiques audiovisuelles récentes de computation liées à la générativité et l’intelligence artificielle : spécifiquement des concerts multimédias et installations vidéo immersives puisées dans les œuvres de Grégory Chatonsky, Jacques Perconte, Ryoji Ikeda, ou encore Refik Anadol. Suivant des stratégies esthétiques qui leurs sont propres, elles continuent d’intégrer l’action des artistes et/ou la participation de l’audience dans ce qui reste très précisément des formes d’environnements et happenings. Ancrées désormais dans le traitement en temps réel de données, ces différentes propositions marquent une nouvelle étape du dialogue originellement cybernétique entre humains et machines venant ici faire œuvre au sens alchimique, c’est-à-dire animer, donner peau, corps et voix au signal et au code par le biais du bruit (en l’occurrence toute perturbation liée à l’expérience sensible chez l’humain ou la machine).