Violaine Boutet de Monvel

From video feedback to GenAI: on recursivity in the arts and media

Stéfane Perraud

Texte d’exposition publié par de Roussan (Paris), mai-juillet 2015.

Comme jadis Persée en quête de la Gorgone Méduse sur les bords d’Océan, Stéfane Perraud ne revient pas bredouille de sa seconde expédition en Isotopia, une île arctique rocailleuse et glaciale, incisée du sud-ouest au nord-est par une vallée étroite et cristalline dite de la Stabilité. Cette dernière a notamment fait l’objet de nombreuses études dans le champ de la physique nucléaire. Bien que fort peu de chercheurs s’y soient réellement attardés, encore moins se sont aventurés sur les terres escarpées et autrement plus hostiles qui s’élèvent dans une brume bleue électrisante de part et d’autre de la vallée. Ces réserves sauvages, qui enregistrent des concentrations anormalement élevées de radioactivité, pullulent d’isotopes instables d’autant plus redoutables qu’ils sont à peine perceptibles.

De fait, il faut être armé de patience pour espérer capturer l’une de ces créatures élémentaires et évanescentes. Susceptibles de muer en un même ou un tout autre atome à n’importe quel moment, elles émettent des rayonnements auxquels vous seriez bien avisés de ne pas vous exposer, car il n’est pas de miroir ou bouclier poli comme celui de Persée qui saurait vous en protéger sûrement. Si vous croyez que la monstrueuse Méduse à la chevelure de serpents était aussi effrayante que son regard pétrifiant, sachez que traquer des isotopes instables aux abords de la vallée vous risque à de bien pires maux que d’être transformé en pierre.

Fier de sa chasse fructueuse dont il se garde bien de nous dévoiler entièrement les ressorts, Stéfane Perraud expose à la galerie de Roussan non pas un seul mais trois trophées radioactifs, quelques uns de ses pièges, ainsi que des cartes d’Isotopia et des échantillons de cristaux prélevés sur l’île au fil de son excursion. De délicats spécimens de Tritium (3H), Béryllium 10 (10Be) et Carbone 14 (14C) sont enchevêtrés dans les rets mêmes que l’artiste avait tendus afin de saisir l’insaisissable. Mais ne vous laissez pas leurrer par leur radiante fragilité. La vigilance et la prudence de l’artiste l’ont fait sceller fermement les deux premiers dans de petites boîtes transparentes, vous épargnant la curiosité dévorante et désastreuse qui poussa une fois Pandore à ouvrir sa jarre. Suspendu en l’air à l’entrée de la galerie, le troisième isotope, dont l’instabilité connue est plus prévisible et très prisée chez les archéologues pour son incroyable pouvoir de datation, présente un danger moindre pour les spectateurs.

Bien des explorateurs se sont laissés envoûtés par les prouesses transformatives de ces extraordinaires créatures qui prolifèrent en Isotopia. Parmi eux, les physiciens bien sûr qui y ont installé un réacteur nucléaire, mais aussi les alchimistes qui découvrent dans les détours tortueux de l’île et ses fréquents glissements de terrain le labyrinthe de leur Magnum Opus ou la possible transmutation du plomb en or. Sur un détail de carte, Stéfane Perraud a méticuleusement tracé le parcours idéal du chercheur d’or ou tous les chemins qui mènent au précieux élément. Glissement après glissement, mue atomique après mue atomique, d’un isotope instable à une toute autre substance, le mystère de l’île reste à ce jour tout entier. Pour ceux tentés de le percer, le nouveau guide initiatique rédigé par le spécialiste d’Isotopia Aram Kebabdjian, La chasse aux isotopes, est un passage oblige.