Saint-Charles (après 68 et avant les réformes de l’ESR) brille dorénavant pour moi comme un diamant noir : si je connaissais quelques enseignant·e·s avant d’intégrer l’UFR, je reste, après coup, sidéré du fait que pas un·e de ses « chargé·e·s de cours » ne soit inconnu·e, pour ne pas dire d’une incontestable dimension dans l’art et la pensée. Où trouverait-on, aujourd’hui, autant de pointures, par ailleurs si pointues dans leurs domaines ?
Dominique Pasqualini (été 2021)
Qu’ils en aient brossé les murs afin de suivre les premiers enseignements en arts plastiques dispensés au cœur d’une université française, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ou se préparer au professorat de second degré dans cette même discipline enfin libérée des anachronismes dix- neuvièmistes de feu la formation du lycée Claude-Bernard, nombreux sont les artistes qui sont passés par le centre Saint-Charles plutôt que les écoles des beaux-arts depuis son inauguration officielle, en 1972, sous l’impulsion du philosophe Bernard Teyssèdre.
C’est là que Dominique Pasqualini, l’actuel directeur de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Bordeaux, y a rencontré son comparse, Jean-François Brun, avec qui il a cofondé le collectif Information Fiction Publicité (IFP) en 1983 – dans l’ombre, mais sans l’ombre d’un doute un grand pas dans l’éclosion de l’art postmoderne en France (entendu que l’installation en serait la forme première et le multimédia la règle). C’est là aussi que se sont croisés, parmi tant d’autres étudiants, celui qui a été surnommé dans la presse étrangère « l’un des secrets les mieux gardés de France »[1], Jean-Luc Moulène, les directeurs des FRAC Île-de-France et Bretagne Xavier Franceschi et Étienne Bernard, respectivement, puis le réalisateur François Ozon, le photographe Mohamed Bourouissa, ou encore le pionnier des arts médias Maurice Benayoun, actuellement professeur à la School of Creative Media de la City University of Hong Kong, et dont les Quarxs ne sauraient tout expliquer.
À l’instar de ce dernier et auprès d’autres penseurs de renom tels que Daniel Arasse qui n’y voyait si merveilleusement rien, le Transcendant Satrape du cinéma expérimental Dominique Noguez, Anne-Marie Duguet qui a, mémoire au poing, brillamment raconté l’histoire de l’art vidéo en train de se faire, ou encore l’écrivaine, sorcière et féministe Xavière Gauthier, nombreux sont également les artistes qui y ont enseigné. Qu’ils aient été chargés de cours ou titulaires, leurs préceptes ont en effet marqué le centre Saint-Charles d’une empreinte durable.
Viennent à l’esprit et s’y bousculent Vera et François Molnár, qui y ont cofondé le Groupe art et informatique ; les figures de proue de l’art cinétique Carlos Cruz-Diez, Joël Stein et Julio Le Parc, le dernier ayant saisi l’opportunité pour aborder plutôt la caricature politique ; l’éminent lettriste Maurice Lemaître ou encore, toujours dans le champ du film expérimental, les cinéastes Rose Lowder et Stéphane Marti; Iannis Xenakis entre musique et ingénierie, à l’œuvre duquel la Philharmonie de Paris consacrera une rétrospective en 2022 ; Michel Journiac et son boudin bien sûr, qui a ouvert au centre Saint-Charles l’espace d’exposition rebaptisé en son hommage après sa mort, en 1995 ; puis non moins que Léa Lublin et Lygia Clark, également du côté de la performance, la pratique participative de la seconde s’étant développée en étroite collaboration avec ses étudiants, avant que sa pédagogie même ne l’embarque plus loin sur le terrain de l’art-thérapie ; enfin, plusieurs acteurs de la figuration narrative dont Bernard Rancillac et Henri Cueco, le peintre conceptuel Claude Rutault, l’un des précurseurs de l’art urbain Ernest Pignon-Ernest, sans mentionner Sarkis et tant d’autres artistes qui ont participé à cette aventure au carrefour des arts plastiques et des sciences humaines, et continuent de le faire aujourd’hui.
Pour célébrer le cinquantenaire du centre Saint-Charles, et plus encore celle de l’introduction des arts plastiques dans l’enseignement universitaire, 50/50 réunit à la galerie Michel Journiac cet automne près d’une centaine d’artistes qui y ont œuvré. Présentés sous la forme d’un cabinet de curiosité, autant de travaux de petit format – 50 x 50 cm maximum – tapissent tous les murs de l’espace d’exposition : l’occasion de saluer non seulement les cinquante années passées de ce département alliant théorie et pratique sur le principe du décloisonnement de la connaissance qui a animé la révolution étudiante de 1968 à son origine même, mais aussi les cinquante à venir qui sauront, heureusement, relever le défi des récentes réformes de l’ESR, afin de poursuivre ce frottement fécond entre penseurs- artistes, artistes-penseurs, penseurs et artistes, et continuer d’explorer ce que les sciences humaines sont et font à la création artistique.
[1] Chris Sharp, « Mono : Jean-Luc Moulène », Kaleidoscope, no. 9, hiver 2010, p. 123.
Artistes
Estèla Alliaud – Élisabeth Amblard – Alexia Antuofermo – Elsa Ayache Hervé Bacquet – Pierre Baqué – Claude Bellegarde – Maurice Benayoun – Romain Bernini – Dominique Blais – Christian Bonnefoi – Filomena Borecka – Jean-Pierre Brigaudiot – Benjamin Brou – Jean-Pierre Callewært – Claire Chesnier – Éliane Chiron – Jacques Cohen – Richard Conte – Lygia Clark – Carlos Cruz-Diez – Henri Cueco – Jean Da Silva – Jean-Marie Dallet – Alain Declercq – Lydie Delahaye – Lisbeth Delisle – Paul Devautour – Walter Dörr – Vincent Dulom – Michel Dupré – Anouck Durand Gasselin – Miguel Egaña – Ernest Pignon-Ernest – Agathe Eristov – Nicolas Fenouillat – Hervé Fischer – Agnès Foiret-Collet – Élisa Fuksa-Anselme – Paul- Armand Gette – Jacques Gilloz – Michel Gouéry – Gisèle Grammare – Xavier Grégoire – Bernard Guelton – Jérôme Gulon – Aurélie Herbet – Céline Hervé – Joël Hubaut – Phouséra Ing – Jean-Luc Jehan – Michel Journiac – Pierre Juhasz – Joël Kermarrec – Farah Khelil – Olga Kisseleva – Maria Klonaris – Jean Lancri – Bernard Lassus – Marion Laval-Jeantet – Anne-Sarah Le Meur – Julio Le Parc – Cécile Le Talec – Maurice Lemaître – Muriel Leray – Dany Leriche – Rose Lowder – Léa Lublin – Maud Maffei – Pascal Mahou – Stéphane Marti – François Molnár – Vera Molnár – Sandrine Morsillo – Côme Mosta-Heirt – Jean-Luc Moulène – Davide Napoli – Olivier Nerry – Olivier Long – Karen O’Rourke – Gina Pane – René Passeron – Grzegorz Pawlak – Frank Pecquet – Antoine Perrot – Bertrand Planes – Jérôme Poret – Garance Poupon-Joyeux – Bernard Rancillac – Nathalie Reymond – Éric Rondepierre – Jean Roualdes – Sarah Roshem – Bernard Roué – Jean Rudel – Claude Rutault – Benjamin Sabatier – Francoise Saddy – Jean-Pierre Sag – Michel Salsmann – Jacques Sato – Michel Sicard – Hélène Sirven – Frédéric Sojcher – Joël Stein – Jeanne Susplugas – Katerina Thomadaki – Yann Toma – Michel Verjux – Frédéric Verry – Véronique Verstræte – Christophe Viart – Frédéric Vincent – Isabelle Vodjdani – Diane Watteau – Pascale Weber – Mireille Weinland – Iannis Xenakis – Nil Yalter, etc.