Violaine Boutet de Monvel

Art writer & translator | Lecturer & PhD candidate

Andrew LaMar Hopkins

Texte d’exposition publié par MASSIMODECARLO Pièce Unique (Paris), janvier 2023.

Après une première exposition collective à MASSIMODECARLO Pièce Unique en 2021, le peintre extraordinaire Andrew LaMar Hopkins – alias Désirée Joséphine Duplantier, son alter ego drag – revient en solo avec six miniatures récentes : une nouvelle occasion pour les citoyens lumière d’entrevoir un instant l’histoire peu racontée, voire oubliée, des créoles de la Nouvelle-Orléans au début du 19ème siècle, auxquels il a consacré l’ensemble de son œuvre. Bien que la définition ait évolué au fil des ans, le terme créole désignait à l’origine les personnes nées en Louisiane coloniale sous domination française et espagnole, quelle que soit leur filiation ou leur couleur de peau. Après l’achat du territoire par les États-Unis en 1803, cette catégorie fut plus avant réduite à l’autre plus ancienne des « gens de couleur libres » – dès lors, un groupe indépendant d’Américains métis ayant des ancêtres européens, ouest-africains et amérindiens, c’est-à-dire descendant à la fois de colons, d’esclaves et d’autochtones.

Au cours des décennies suivantes, les créoles de la Nouvelle-Orléans en vinrent à jouir d’un statut notable en tant que commerçants, artisans ou propriétaires fonciers, certains d’entre eux comptant parmi les personnes de couleur libres les plus riches du pays. Par exemple, la reine vaudou Marie Laveau est une figure historique récurrente dans les peintures de Hopkins. Quoi qu’il en soit, l’identité qu’ils se forgèrent au carrefour de tant d’autres continua d’entretenir des liens forts avec la France : ils parlaient généralement la langue, faisaient des allers-retours dans l’ancien monde et affichaient leur prospérité à la dernière mode parisienne, qu’il s’agisse de tenues chics ou de meubles néoclassiques. La culture créole de Louisiane connut son âge d’or dans la première moitié du 19ème siècle, avant que la guerre civile américaine n’éclate et n’impose à la place sa vision raciale manichéenne, en noir et blanc. « Trop blancs pour être noirs, trop noirs pour être blancs », pour citer le livre Black Creole paru en 2017 du professeur, cinéaste et poète Maurice M. Martinez, ils virent alors leur groupe marginalisé, leurs biens rongés et leurs droits remis en question.

Originaire de Mobile, dans l’État voisin de l’Alabama, et de longue date résident de la Nouvelle-Orléans, Hopkins ne s’est pas contenté d’exhumer du passé cette culture créole, toujours vibrante, pour la célébrer. Il a également découvert qu’il en faisait partie, descendant de par son père d’un marin français – Nicolas Baudin de Tours. La concession d’un terrain en Louisiane lui fut octroyée en 1710, et les enfants que ses nombreux fils eurent avec leurs esclaves finirent par hériter de la plantation. À l’instar de ses ancêtres de couleur libres, l’artiste autodidacte s’efforce de mener grand train, incarnant l’art de vivre même qu’il souhaite ressusciter. Dandy depuis toujours, il a développé dès son plus jeune âge une soif insatiable d’histoire, d’architecture et d’arts décoratifs d’avant-guerre, ce qui l’a conduit à ouvrir à 20 ans une boutique d’antiquités en ville. S’il collectionne aujourd’hui pour son propre plaisir et se rend en France plusieurs fois par an pour faire les puces, il a mis cette passion au service de son œuvre. Exécutés avec un souci du détail éclatant, ses peintures de genre déploient dans des cadres dorés exquis et un style faussement naïf le folklore peut-être pas si perdu des créoles de la Nouvelle-Orléans, qu’il fantasme et personnifie à la perfection.

Une rétrospective de l’artiste se tient actuellement au Louisiana State Museum de la Nouvelle-Orléans, du 22 novembre 2022 au 30 septembre 2023.