Violaine Boutet de Monvel

From video feedback to GenAI: on recursivity in the arts and media

Tacita Dean

Revue d’exposition publié dans Artpress (Paris), no. 340, décembre 2007, p. 86.

Le film Human Treasure est la rencontre improbable de la lauréate du Prix Hugo Boss 2006, l’artiste anglaise Tacita Dean, et non moins qu’un Trésor National Vivant japonais, le maître de théâtre comique Kyogen, Monsieur Sensaku Shigeyama. Sans jamais franchir le bouclier merveilleux, l’auréole de déférence implicite qui accompagne et couronne justement une distinction de cette ampleur dans un contexte de culture élevé, et l’on sait que le Japon en est l’image par excellence, cette rencontre, si elle ne se fait pas dans la collision, n’en est pas pour autant platonique. Dans le mutisme d’une entrevue qui ne se consomme pas verbalement, toujours dans la distance qui sépare l’artiste de sa cible à travers son viseur, le dernier film de Tacita Dean a le charnel des gros plans ou de l’effleurement voyeuriste, perversion mise à part. Les moindres faits et gestes de l’illustre homme de théâtre sont scrutés avec une attention presque palpable depuis le rituel public de ses petits-déjeuners à la française dans l’hôtel chic Takaragaike Prince de Kyoto en la compagnie de son épouse dévouée, jusqu’à celui plus intime de ses soupers casaniers dans sa singulière maison de verre où il donne ses représentations populaires. Tout est d’une transparence nébuleuse, à l’image des comédies de Kyogen qui, bien que jouées sans masque, relèvent d’une codification lourde et tacite qu’aucun des sens occidentaux, même les plus aiguisés, ne saurait pénétrer aisément.

Tacita Dean caresse ici la surface d’un quotidien exotique et lointain qu’il n’est jamais question de violer. Collection de moments de beauté dont il s’agit de cristalliser l’aura au-delà des événements qui ponctuent la journée de Sensaku Shigeyama, Human Treasure a en effet la saveur d’un herbier constitué avec délicatesse, chaque laps de temps comme autant de pétales précieux. À y bien réfléchir, sous de bons ou mauvais augures, c’est véritablement une chasse au trésor que mène l’artiste depuis le début de sa carrière. Sorte de corsaire de l’art contemporain, avec tous les archaïsmes que le qualificatif implique (sa fidélité romantique au 16 mm en est un), Tacita Dean saisit des instants de grâce qu’elle discerne avec plus ou moins d’originalité, mais toujours dans la perspicacité, au hasard de ses expéditions. En bonne esthète, elle choie chacun de ses joyaux dans des interventions savamment dosées, presque imperceptibles, pour ne laisser place qu’aux effluves des parfums mis sous verre que la chaleur de la projection et le grain du film doivent venir raviver. Ses dessins sur pierre d’albâtre et sur papier carbone présentés en parallèle ne viendront pas contredire la finesse qui lui est attribuée. Tandis que les Presentation Windows suivent délicatement, par des incisions fines et polies, les veines brunes de la pierre blanche, les dessins des Lightning Series sont des arborescences de racines sauvages déclinées méticuleusement à la craie sur carbone. Enfin, Chalk Balls est d’une pureté des plus artificielles, une constellation de boules de craies disposées au hasard sur une impeccable feuille d’ébène à même le sol. Immaculé, ainsi soit-il.